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10 juillet

Qui aurait pu prédire... 

 
   

« Les médias sont responsables » Cette petite remarque lancée par une candidate du Nouveau Front Populaire lors de la soirée électorale du premier tour où le RN était arrivé largement en tête, a laissé pantois notre présentateur vedette : « les médias sont responsables ? » a-t-il répété plusieurs fois, semblant ne pas comprendre. « La priorité au duplex », n’a pas laissé le loisir à cette candidate de développer son analyse, c’est bien dommage, car voici ce qu’elle aurait pu nous dire.

Rembobinons …

En 2005, lors de la campagne pour le référendum sur le traité constitutionnel, les médias, y compris France Télévisions, avaient pris une position très nette sur le sujet. Il fallait absolument dire OUI à cette Europe qui gravait dans le marbre le principe néolibéral selon lequel le bien-être commun reposerait sur une « concurrence libre et non faussée ». 

85% des débats et des intervenants étaient favorables au « OUI ».

Tout autre personne ayant un avis différent plutôt que d’essayer de comprendre ce qu’elle avait à nous dire, était traité, soit d’ignorant, soit de populiste.

Résultat le « NON » l’avait emporté avec 55% des voix en laissant en état de sidération les élites de ce pays.

2018

Suite à l’effet conjugué de plusieurs mesures impactant les automobilistes, un groupe d’amis déclenche sans le savoir ce qui restera certainement le plus long et le plus incroyable mouvement social de ce pays : Les Gilets Jaunes.

En un week-end toute la Gaule des ronds-points est occupée.

Il faudra 3 semaines à France Télévisions pour enfin parler d’autre chose que des vitrines cassées et de l’Arc de Triomphe tagué avec un sujet d’analyse dans Envoyé Spécial, rendons-leur cet hommage.

Mais très vite le naturel reprendra le dessus, avec cette pancarte, où le mot « dégage » avait été effacé, pour ne pas salir le costume présidentiel.

La suite ?

2 ans de révolte, matée à coup de LBD et de grenades de désencerclements, des images à n’en plus finir sur les dégâts samedi après samedi en prime time, et les débats relégués à des heures tardives.

2023

Après avoir été réélu et de nouveau grâce à un barrage républicain réussi, Emmanuel Macron impose la réforme des retraites. Une fois de plus le pays s’embrase. S’ensuit une interminable propagande de certains journalistes ou experts autoproclamés nous assenant toujours des mêmes poncifs « Ah oui mais on vit plus vieux » « Ah oui mais en Allemagne c’est 67 ans » sans préciser qu’en Allemagne, il est possible de partir à la retraite après seulement 35 années de cotisation avec une pension diminuée. Pas un mot non plus sur les gains de productivité qui ne sont plus redistribués aux salariés, mais confisqués par les actionnaires, ce qui aurait pu être une piste pour éviter cet allongement de la durée de cotisation.

Sur ces 3 séquences, comme sur beaucoup d’autres, les médias et France Télévisions n’y ont pas fait exception, le débat a été réduit à sa plus simple expression.

  • Vous n’êtes pas pro européen, vous êtes contre la paix.
  • Vous êtes un Gilet Jaune, vous êtes un séditieux.
  • Vous êtes contre la réforme des retraites, vous n’y comprenez rien en économie.

Et sur ces élections, qu’avons-nous fait ? La même chose.

Le camp du bien contre le camp des racistes et des antisémites. Combien de fois avons-nous entendu sur nos antennes « face aux extrêmes » ?

Aujourd’hui on se réveille dans un pays qui durant 2 semaines a été aussi brun que l’eau de la Seine, ou le Rassemblement National est passé de 8 députés à 143 en 7 ans

Qui aurait pu prédire ? 

Notre mission de service public, c’est informer, éduquer et divertir.

Avec 12 millions de français qui se sont réfugiés vers un parti raciste qui les a accueillis à bras ouverts, sans que cela ne les dérange qu’ils aient surtout le bras tendu, il est indispensable de se poser la question si nous n’avons pas raté quelque chose.

Par exemple, en consacrant notre édition de la mi-journée sur France 2 exclusivement autour de 3 sujets, la météo, l’insécurité et le pouvoir d’achat, sommes-nous encore dans notre « raison d’être » ?

Quant à nos grilles de programmes…

La réforme de Nicolas Sarkozy avait au moins eu cet avantage, faire démarrer les primes times plus tôt.

Mais petit à petit, un feuilleton, des bandes annonces, des partenariats en tout genre, et aujourd’hui le prime time commence à 21h15, reléguant la deuxième partie de soirée, l’heure de l’analyse et du décryptage, aux alentours de 23H, horaire impossible pour le français qui se lève tôt, qui du coup, part s’informer ailleurs.

Nous nous inquiétons de la montée de l’extrême droite uniquement lorsqu’elle est en mesure d’accéder au pouvoir, cela fait 22 ans qu’à chaque élection nous jouons à nous faire peur.

Le reste du temps, on normalise, on banalise, on enlève les rubalises.

Aujourd’hui, une fois de plus, le danger semble écarté, mais la colère est retournée chez elle, elle ne faiblira pas, elle ne fera que grossir à chaque fois car elle se nourrit de notre suffisance, de notre arrogance et du mépris que nous lui adressons.

Il est évidemment hors de question que France Télévisions porte l’entière responsabilité de ce naufrage, mais tout de même, si nous ne changeons rien, si nous ne réfléchissons pas collectivement, alors un jour il sera trop tard.

Plutôt que de nous féliciter sur la solidité du barrage, il est vraiment urgent d’en vider l’eau qui nous menace.

Avançons ensemble, organisations syndicale et direction, nous dans notre rôle de défenseur de l’emploi et des conditions de travail pour que notre compétence ne soit jamais prise en défaut, et que de son côté, la direction fixe un cap clair en privilégiant l’intérêt général contre l’intérêt particulier de quelques destins politiques.

Nous sommes prévenus, si le barrage cède, nous disparaitrons, c’est écrit noir sur blanc dans le programme du RN.

Paris le 10 juillet 2024

 

Barrage boueux

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